Le faqīr est un arbre à l’ombre généreuse

Nous présentons une brève mudhākara qui, fidèle à l’enseignement de la tarīqa Madaniyya, est totalement absente de fioritures (science inutile), mais condense l’essentiel de la Voie. A l’occasion d’un échange avec des fuqaras, le Shaykh indique, de façon simple et directe, à la fois la finalité et la méthode de la réalisation. N’étaient l’opacité et l’insouciance de l’âme qui exigent des rappels multiformes, cette mudhākara suffirait à elle seule comme viatique dans le cheminement vers le Seigneur des hommes. Mourid, écoute et conforme-toi !

[(Sidi Shaykh Munawwar al-Madani a rappelé dans une moudhakara (le 21-11-2010) une anecdote se rapportant à son père sidi Shaykh Muhammad al-Madani, qu’Allah lui fasse miséricorde.)]

« Un jour de l’été 1954, après la prière du dhor, Sidi Shaykh al-Madani se tenait à l’ombre d’un arbre en compagnie d’un groupe de fidèles fuqaras, lorsque l’un d’eux dit :


Sidi ! si Dieu veut, tu seras au Jour dernier, un arbre sous lequel nous pourrons prendre refuge(1)!

Le shaykh baissa la tête et garda le silence un petit moment comme s’il voulait signifier sa désapprobation vis-à-vis de l’assurance de cette garantie(2).

Puis, il prit la parole et dit : Nous sommes ici dans la région des gens de Souassi, et le Jour de la résurrection, il faut que chacun de nous soit(3). un arbre à l’ombre duquel on pourra s’abriter. Que chacun d’entre nous ait donc confiance(4) en lui et en tous ses frères, que nous nous fassions de chacun une « belle opinion »5, que chacun s’occupe à l’élévation de sa propre âme6, alors chaque faqir sera un point de rayonnement7 du fait de sa connaissance de la Réalité et par sa conquête d’un « caractère pur »(8).
Tous les autres chercheront de ce fait à s’abriter sous son ombre9.
« L’arbre nu et stérile ne fructifie pas et personne ne se met sous son abri.»

Traduction, présentation et commentaire par :
Sidi Abd al-Malik, Muqaddam d’Égletons.


  1. Au jour du jugement dernier la tradition dit que la terre sera parfaitement plane et qu’il n’y aura ni montagnes, ni arbres pour faire de l’ombre, seul le Trône produira une ombre, celle de Dieu, qui est Lui-même le seul refuge possible contre Lui-même.
    D’une manière générale, selon Abou Hourayra, le Prophète b dit: «Sept personnes seront ombragées par l’ombre de Dieu, le jour où il n’y aura d’ombre que la Sienne:
    1. Un chef équitable.
    2. Un jeune homme qui a grandi dans l’adoration de Dieu honoré et glorifié.
    3. Un homme dont le cœur est accroché aux lieux de prière.
    4. Deux hommes qui se sont aimés en Dieu. Il se sont réunis en Lui et se sont séparés en Lui.
    5. Un homme qu’une femme de haut rang et de grande beauté appela à elle et à qui il dit: «Je crains Dieu».
    6. Un homme qui a donné une aumône si discrètement que sa main gauche n’a pas su ce qu’a donné sa main droite.
    7. Un homme solitaire dont les yeux débordèrent de larmes à l’évocation de Dieu».
    (Hadîth Unanimement reconnu authentique) ↩︎
  2. Le shaykh ne met pas en doute l’assertion en question car, comme l’assimilation à un arbre dans un « lieu » et un « temps » où ils ne pourront être est symbolique, de même, « l’ombre du Trône » n’est que le symbole de la protection obtenue par l’amour du Prophète et des Saints ainsi que la mise en pratique de leurs vertus qui –de facto- fait entrer l’individu dans une ou plusieurs catégories mentionnées dans le hadîth d’Abou Hurayra, suscitant le Ridha (contentement) d’Allah et nous rendant digne de Sa Proximité Unitive. En fait, Shaykh Madani renvoie le disciple à ses responsabilités, c’est-à-dire, assumer les conditions de sa propre réalisation que sa présence auprès du maître lui avait fait oublier au bénéfice d’un sentiment de « sécurité » ressenti par l’égo. En réalité, nous pourrons prendre d’autant mieux refuge sous « l’arbre » du Prophète, b et des Saints d’Allah, que nous serons nous-mêmes « refuges » pour d’autres – mesure donc de notre engagement – comme on va le voir dans la suite de la mudhakara. ↩︎
  3. « Yajibu », à lire comme devoir du faqir à l’égard de la Communauté, et même de la Création dans son ensemble. On rejoint évidemment la notion universelle véhiculée par le mot piété. Le latin pietas était un dérivé de pius, adjectif qualifiant l’homme qui accomplissait ses devoirs envers les dieux, sa parenté, la communauté et même le devoir envers l’Etat en tant que groupe constitué (la patrie). Pius a donné en ancien français pi, qui, trop bref, s’est vu adjoindre le suffixe -eux, d’où pieux. Le féminin pie se retrouve dans l’expression archaïque figée «œuvre pie » correspondant assez bien aux ‘Amal as- salihāt. Par sa « piété », l’homme contribuait à la permanence du monde, en renouvelant en lui les dons divins.
    La piétas culminait dans la devotio, qui en latin désigne l’acte de s’offrir en sacrifice (en donnant priorité aux devoirs par rapport à l’assouvissement des penchants de l’âme) et qui rejoint bien entendu les exigences de fanā’ (extinction) de l’ego dans l’éthique musulmane en général et du Tassawwuf en particulier. « Le meilleur d’entre vous, est celui qui est le plus utile aux gens ». Et si on ne peut le faire à grande échelle, du moins dans sa famille : Le Messager d’Allah b a dit : « Commence par t’occuper de tes proches. » Rapporté par Abū Dawūd et Tirmidhī. Le Messager d’Allah b a dit : « L’homme est récompensé en donnant à boire à sa femme. » Rapporté par Tabarānī.
    Pour prévenir tout malentendu à propos du « service », il ne s’agit pas de se laisser aller à l’agitation -plus ou moins éclairée – dans les œuvres, voire dans le « social » ou sombrer dans un sentimentalisme béat de type « new Age », mais bien d’être uniquement au service du « Vrai » : C’est à dire qu’il faut se mettre en conformité avec l’exemple prophétique pour pouvoir assurer la validité de ce sacrifice et cela passe par l’étude et l’intelligence des situations, choses nécessitant un apprentissage sérieux excluant toute précipitation, si tel n’est pas le cas l’adage dit que « l’enfer est pavé de bonnes velléités » … . ↩︎
  4. Avoir confiance en ses frères et en soi, c’est reconnaître dans les aspirants la qualité de ma’mūn (ferme, loyal, sûr) qu’ils ont pris et prennent de leur Shaykh du fait de sa baraka (influence spirituelle due à sa proximité d’Allah et son amour du Prophète b ) ; et de sa bienveillante murāqaba (surveillance) dans la suhba (compagnie). La racine W TH Q concrétise l’idée de « s’appuyer sans l’ombre d’un doute sur quelque chose ou sur un homme digne de confiance, inébranlable, ferme, sûr ». Elle évoque également l’idée d’un lien, pacte, engagement. Elle rejoint donc la racine A M N « faire confiance, se fier », ainsi que « être en sécurité, à l’abri » et dont la IV° forme permet de traduire le fait de « croire », dans le sens « d’avoir La Foi », « avoir foi en une chose (la tenir pour vraie, s’attendre à son avènement) et être tranquille du fait de cette assurance ».
    Fides désignait en latin la loyauté et donc le fait « d’être digne de confiance »,  « à qui on pouvait se confier » c’est-à-dire l’équivalent de l’arabe al-Amīn dont le Prophète ba est la personnification la plus parfaite. De fides découle: foi, fidèle. Le mot foi a été largement dévalué, de sorte qu’on le confond désormais avec le mot « croyance », et le verbe « Je crois » signifie en français courant « je suppose », ou « je pense », ou simplement : »peut-être? » Mais « Avoir La Foi  » signifie « croire » parce que l’on fait confiance aux Envoyés à propos de choses que l’on ne peut pas (encore) voir et en s’appuyant sur le sentiment inné que le BIEN vu en leur fides « indique » (ou nous rappelle) ALLAH, cela suppose aussi que l’on dispose soi-même de cet attribut (au moins en puissance) et qu’on ne le nie pas comme le fait le « kāfir ».
    Pour comprendre ce qu’est réellement la Foi, il faut ramener la notion à son principe – intimement associée à la loyauté – dont l’expérience goûtée nous fournit par ailleurs immédiatement le contenu :
    Le Messager d’Allah ba dit : « Nul n’aura vraiment la foi s’il n’est pas digne de confiance, et nul n’aura vraiment la religion s’il ne respecte pas les pactes. » Rapporté par Bayhaqī et authentifié par al-Boukhārī.
    Le Messager d’Allah ba dit : « Les signes révélateurs de l’hypocrite sont au nombre de trois : il ment lorsqu’il parle, ne respecte pas sa promesse lorsqu’il la donne et trahit lorsqu’on lui fait confiance. Ceci, même s’il accomplit la prière, verse l’aumône et prétend être musulman. » Rapporté par Muslim. ↩︎
  5. Le Quran oppose à la connaissance obtenue par la Foi le Zhann : l’opinion individuelle, fondée sur aucune certitude et sujette aux humeurs variables. Ce Zhann pour être positif doit être « beau », il devient alors un moyen de parfaire la vraie Foi.
    Le Messager d’Allah ba dit : « Prenez garde aux suspicions non fondées, car ce sont les paroles qui induisent le plus en erreur. Ne vous espionnez pas, ne vous épiez pas, ne vous enviez pas, ne vous haïssez pas, ne vous dédaignez pas en vous fuyant, mais soyez plutôt, ô adorateurs d’Allah, tous frères. » Rapporté par Boukhārī.
    Le Messager d’Allah b a dit : « Le musulman est le frère du musulman ; il ne doit pas le tromper ni le trahir. Tout ce qui appartient au musulman est sacré pour le musulman : son honneur, ses biens et son sang. La crainte d’Allah se trouve ici (il dit ceci en indiquant son cœur). Le seul fait de mépriser son frère musulman suffit pour que la personne sombre dans le mal. » Rapporté par Muslim.
    Le musulman et plus particulièrement l’aspirant doit développer cette vertu de simplicité qui le prive du diktat de l’amour propre et lui donne vis-à-vis de ses semblables une attitude dénuée de prétention et d’artifice.
    Aux antipodes de cette attitude, les querelles accompagnées de grands discours sur la « fraternité universelle ». ↩︎
  6. Cette recommandation contraint le faqir à se recentrer sur l’essentiel et à respecter le hadith :  « Une des meilleures façons de pratiquer l’Islam pour un homme est de ne pas s’occuper de ce qui ne le concerne pas.  ». Dans un Hadith où Abū Dharr demande une série de recommandations au Prophète b, celui-ci lui dit en lieu de dernière instance « On imputera en mal l’ignorance que l’homme a de lui-même et le fait de s’occuper de ce qui ne le concerne pas. O Abū Dharr, la vraie intelligence , c’est le gouvernement de soi-même ; la délicatesse de conscience (wara’) c’est de s’abstenir, et rien n’est plus beau qu’une vie de vertus irréprochable. » ↩︎
  7. Le Messager d’Allah b a dit : « Il y a des gens qui ouvrent les portes du bien et ferment l’accès au mal, et il y en a qui ouvrent les portes du mal et ferment l’accès au bien. Bonheur à celui à qui Allah donna les clefs des portes du bien et malheur à celui à qui il donna les clefs des portes du mal. » Rapporté par Ibn Mâjah. Chaque faqir nashit devient un centre lumineux « équilibrant » un centre ténébreux. Par son grand Jihad et sa « lieutenance » divine, il permet ainsi à ce monde – par l’élection d’Allah -, de continuer d’être le réceptacle de l’influx créateur, et aux possibles, de recevoir les dons divins par l’intermédiaire de « l’habit de servitude » que représente la venue à l’existence, la cristallisation ou (insufflation) de l’Esprit dans la forme étant une sublimation de l’Esprit. S’adressant au Nūr Muhammadi, le Shaykh al-‘Alāwī dit dans une de ses qasā’id :
    ‘مطلقا كنت فصرت بالقيود متجمل ‘Tu étais totalement libre et par tes liens tu fus embelli _ «
    Les Awliyaou Allahi sont ceux qui « diffèrent » le mal afférent aux changements de monde, ils s’opposent directement par là de ce point de vue au massih ad dajjal et ses sbires qui ont l’inverse pour objectif, (ou pour mission si on considère l’Ordre divin).
    وَرَبُّكَ الْغَنِيُّ ذُو الرَّحْمَةِ إِن يَشَأْ يُذْهِبْكُمْ وَيَسْتَخْلِفْ مِن بَعْدِكُم مَّا يَشَاءُ كَمَا أَنشَأَكُم مِّن ذُرِّيَّةِ  آخَرِينَ
    6-133 « Ton Seigneur est le Suffisant à Soi-même, le Détenteur de la miséricorde. S’Il voulait, Il vous ferait périr et mettrait à votre place qui Il veut, de même qu’Il vous a créés d’une descendance d’un autre peuple. »
    ↩︎
  8. Cette formulation rappelle le leitmotiv quranique : « Ceux qui ont la Foi et accomplissent les œuvres vertueuses » qui réunit indissociablement ces deux aspects de la réalisation liés à la descente de l’Esprit dans la forme. Al-Junayd a dit « Le soufisme est entièrement caractères nobles (divins). Celui qui te dépasse en bons caractères te dépasse en soufisme. » ↩︎
  9. Le Shaykh vise pour le disciple la Station du Secours dans laquelle il se tient, où, éteint dans le Prophète b, il est revêtu de l’attribut de support de la Miséricorde Universelle. « Et nous ne t’avons envoyé que comme Miséricorde pour les Mondes ». Louange à Allah, Maître des mondes ! ↩︎

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