Sidi Shaykh Munawwar al-Madanī rapporte la mudhakara suivante, entendue de son père Sidi Shaykh Muhammad al-Madanī lors d’une réunion de foquaras en 1957 à la Zawiya de Qsibet Al-Madiouni :
[Mon père], Sidi Muhammad al-Madani a dit : « Notre Maître Sidi Ahmad ‘Al-Alāwī nous avait longuement entretenu moi et mes compagnons fuqaras ‘Alawi sur les finesses du Tasawwuf, les subtilités de l’état contemplatif, de l’anéantissement et de la permanence, ainsi que des Stations, des états et du cheminement vers Allah.
Un jour, ses propos nous ramenèrent à des questions touchant la Loi, c’est-à-dire des questions « générales », connues de tout le monde comme la prière canonique et ses statuts, les petites ablutions et les grandes, le Tayammum, ainsi de suite. Cela continua quotidiennement pendant environ un mois entier, j’attendis alors un moment favorable et malgré ma retenue, je m’avisais de l’interroger sur ce changement de contenu et de la cause l’ayant motivé. Il me répondit mot pour mot ainsi :
« Sidi Muhammad al-Madani, [que penses tu de] celui qui possède une maison à deux étages et que tu vois s’occuper à embellir et décorer le deuxième étage alors que le premier niveau, qui est la base et donc plus digne de soin, nécessite entretien et réparation (?)
LA LOI EST LA FONDATION, APRES EN AVOIR PRIS SOIN, NOUS NOUS SOMMES ELEVES AU DEUXIEME NIVEAU QUI EST CELUI DE LA REALITE POUR L’EMBELLIR ET GOUTER A SA BEAUTE ».
Qu’Allah lui fasse miséricorde, ainsi qu’à tous nos princes, les « gens d’Allah » et tous les croyants. Commentaire de sidi Abd al-Malik :
Au Nom d’Allah qui ouvre l’existence ! Louange à Allah qui manifeste tout être existant ! Il n’y a pas de divinité en dehors d’Allah. Allah est le plus grand, l’Ordre procède de Lui et c’est à Lui que nous revenons.
Prière et Paix sur l’Envoyé, Miséricorde pour les mondes, et sans la manifestation duquel les mondes ne seraient pas, plongés dans l’éternité de leur néant.
Ce texte est important dans le cadre d’une réalisation régulière. Il fixe les rapports de « l’extérieur » et de « l’intérieur » [[« L ’extérieur » et « L’intérieur » et peuvent s’entendre d’une part comme l’ensembles des règles révélées que l’adhérent à une forme traditionnelle doit respecter dans ses rapports avec son Seigneur, ses semblables et avec lui-même , d’autre part comme la Connaissance qui permet à l’homme d’échapper à la finitude. D’un point de vue pratique et restreint, on peut dire que travail sur « l’extérieur » visera la qualité des actes et leur conformité à « l’aspect » exigé par la Loi, celui sur « l’intérieur », la qualité de l’intention les motivant et la « gestion spirituelle » de leurs fruits.]] dans une forme traditionnelle complète.
Sans définir de hiérarchie définitive [[« Plus digne de soin », non pas « plus digne. »]] , il impose une priorité, et donne une méthode salvatrice. La Loi (šarī‘a) et la Réalité ( Haqīqa ) sont un tout, une même essence (la maison) avec des aspects et des « relations » au pérégrinant différents (les étages), mais indissociables. L’aspect « extérieur », s’il ne paraît pas être l’aboutissement dans ce point de vue duel (le premier étage qui ne donne pas lieu au plaisir de la résidence), ne doit absolument pas être négligé.
D’abord parce qu’il est la condition sine qua non de la jouissance de l’aspect « intérieur » obtenue ainsi « légitimement » et de manière pacifiée [[Cela correspond à la demande de « Salam » dans la Prière sur le Prophète qui comme chacun le sait est une Prière sur Soi, la prise de possession de la Haqīqa équivalant quant à elle à la demande de « Salat », unitive. L’un ne va pas sans l’autre, le « Salam » permettant et fixant à la fois l’état d’union de « Salat » dans le cadre « protégé et sûr » de la Loi sacrée.]] . (Stabilité de l’étage supérieur reposant sur l’inférieur (dans le sens de « précédent logiquement»). Il établit une relation imposée par notre état de servitude et qui, du fait de notre dépendance à la condition temporelle, s’affirme en priorité dans notre retour vers Allah.
D’autre part parce que le véritable aboutissement de la quête initiatique du VRAI (quête de ce retour) réside dans une résolution synthétique de l’ensemble. C’est-à-dire que le but n’est pas seulement de réaliser la Réalité par la loi [[Cette perspective correspond au statut des « gens de la droite » pour lesquels la mort corporelle, signifiant (de facto) la fin des obligations légales, leur permet l’accès au mode de vision et de jouissance de la Réalité qui leur est propre (Paix pour les gens de la droite !). ]] , mais, en s’assujettissant à la Loi, de découvrir hic et nunc [[Ici et maintenant, dans « l’Eternel Présent » transcendant tous les mondes : mode de réalisation concernant « les précédents, les rapprochés ».
Shaykh Ahmad Al Alawi dit dans un de ses poèmes : « Maintenant, Il (Allah) est apparu, alors que le monde est dans sa parure ». Pour les Saints, il n’y a pas vraiment de différence entre leur état en ce monde et leurs états posthumes. Ils sont éternellement soumis à la Loi d’Amour et d’unité que leur impose leur statut de « Rapprochés – Vivants» par rapport à l’Essence Suprême, Loi Sainte que s’impose Allah à Lui-même en se prescrivant la Miséricorde pour les mondes. « Quand un homme sait que toutes les possessions sont sous le contrôle absolu de Dieu, qu’a-t-il d’autre à voir avec les autres hommes, de sorte qu’il soit voilé par rapport à Dieu de leur fait ou du sien? Tous ces voiles sont le résultat de l’ignorance : dès que l’ignorance est abolie, ils se dissipent, et cette vie d’ici-bas est rendue égale en dignité à la vie de l’au-delà » Hujwiri Somme spirituelle)]] à la fois la beauté de la Réalité dans la Loi [[Si tel n’était pas le cas, le Prophète – Prière et Paix sur Lui – n’aurait pas évoqué la possibilité de trouver « la fraicheur de son œil » dans l’accomplissement de la Prière canonique.]] et le sens de la Loi dans la Réalité [[La beauté de l’architecture du cristal d’eau solidifié fait écho au plaisir du chant et de la douceur de l’eau vive, la liberté de l’eau vive fait écho à la complexité intelligible du cristal.]] .
Ainsi, c’est la maison entière qui doit être investie par le propriétaire et être parfaite! [[Le premier niveau, le deuxième niveau et la maison dans son ensemble pourraient se comparer au degré d’Islām, Iman en leur perfection propre et Ihsān comme perfection atteinte dans la perfection totale des deux premières.]]
Sidi Shaykh Munawwar al-Madanī perpétue cette vénérable sagesse en insistant fortement sur l’obligation pour les fuqaras d’acquérir les connaissances « légales », et en se faisant lui-même vecteur de cet enseignement vivifié par une connaissance « gustative ».
Telle est aussi la position de tous les grands maîtres : les exemples abondent. Nous nous bornerons à évoquer deux références, non pour justifier la voie Madani – car elle est également l’étalon à l’aune duquel peut se mesurer l’orthodoxie des autres exposés de doctrine – mais pour montrer la cohérence générale de la Doctrine Saine.
Le livre des haltes de l’Emir ‘Abd al-Qādir, halte 3 « La Loi, base de toute réalisation spirituelle».
Initiation et réalisation spirituelle de R Guénon (Shaykh ‘Abd al-Wahid Yahyā) : « Nécessité de l’exotérisme traditionnel ».
Commentaire de sidi Abd al-Malik,
Mouqaddam d’Egleton. (France).
Octobre 2012.