L’œuvre d’Abū Hāmid al-Ghazālī (1058-1111) synthétise à merveille l’osmose entre les actes rituels et leurs sens profonds ; entre la šarī‘a et la haqīqa. Avant que cette synthèse ne soit clairement exposée par sa belle plume, on a parfois songé, à tort, que le tasawwuf est une activité incompatible, voire même contradictoire, avec les préceptes de la religion. Grâce à son style flamboyant et à sa fine argumentation, al-Ghazālī a démontré que les pratiques rituelles (‘ibādāt), sans implication de l’âme, pourraient être vaines, et même générer orgueil et égarement.
L’ultime finalité de sa réflexion était de rappeler – ô combien cet appel est aujourd’hui nécessaire !- que la religion a une âme qu’il faut nourrir et faire vivre ! Ne jamais accomplir un acte d’adoration sans veiller à la sincérité, à l’humilité et à la crainte révérencielle qui doivent le sous-tendre. Les pratiques rituelles, comme la prière ou le jeûne, ne valent rien si elles ne se réalisent pas dans le dévouement et l’humilité. Grâce à son approche globale, al-Ghazālī exhorte à appliquer cette exigence à tous les domaines de la vie religieuse qu’il répartit en quatre pans: 1- ‘ibādāt (rites, actes d’adoration), 2-‘ādāt (relations sociales avec autrui), 3- muhlikāt (actes graves dont il faut purifier le cœur) et 4- munjiyāt (actes louables qui permettent le salut de l’âme).
Si infime soient-elles, les intentions qui régissent les actes doivent être passées au peigne fin; l’objectif ultime est de parfaire le comportement humain en le contrôlant à la source, en vérifiant la valeur et le but. Le terme clef de cette théorie ghazālienne est al-murāqaba ou la vérification minutieuse de chaque acte, ses racines et ses fins, en pensant en son for intérieur qu’Allah l’observe. Chaque croyant doit se doter de ce « catalyseur » mental qui permet de vérifier la sincérité des intentions sur lesquelles il fonde ses actes et pensées.
Al-Ghazālī composa son œuvre à une époque où les politiciens ont mêlé la religion aux conflits historiques, où ses préceptes se sont cristallisés en coutumes, traditions et folklore… sans âme, sans vie. Armé d’un verbe puissant, d’une intuition pénétrante, il rappelle la nécessité de : « ihyā’ ‘ulūm al-dīn », titre d’une concision proverbiale, qui signifie : revivifier les sciences de la religion, la vraie. L’on doit donner vie aux piliers de l’Islam (rites, croyances et moralité) afin de pouvoir y puiser des enseignements édifiants, sous peine de gaspiller la courte existence à réciter des Lettres mortes, à répéter des gestes vides et à reproduire des actes asséchés. C’est ainsi que l’on manquera les fruits intellectuels et spirituels de la connaissance qu’Allah accorde, seulement, à ceux qui Le craignent, avec révérence.
Modestement, la voie madaniyya espère rappeler les précieux enseignements d’al-Ghazālī et offrir, à tout musulman, le « nectar » de sa réflexion pour que l’Islam soit générateur de la vie éternelle, de la paix de l’âme face au Créateur qui la guidera, s’il veut, dans le fleuve de l’Amour divin, sans rivages….