1. Quand il s’agit de fredonner de la poésie, les Arabes appellent le « chant » : samā‘. S’il s’agit de chantonner la parole de tahlīl, [dire : lā ilāha illā Allāh] et les autres lectures coraniques, ils utilisent le terme taġbīr, car cela fait penser au ġābir, mot désignant l’éternel, ou les choses de l’Ultime demeure, selon les explications données par d’Abū Isḥāq az-Zağğāğ [philologue arabe], et rapportées par Ibn Khaldūn dans son « Histoire ».
2. Les négateurs ont abondamment critiqué le samā‘, les opposants l’ont désapprouvé et l’interdisent de manière catégorique. Je ne vois en cela qu’un point de vue borné et un manque de connaissance, pour ne pas dire que leurs âmes – par nature – ne les incitent qu’à la controverse pure.
3. S’ils avaient consulté les [ouvrages] de la noble Char‘ [Loi islamique] et ce qu’en ont dit les Savants, ils auraient écouté et suivi [leurs recommandations]. Leurs langues se seraient davantage occupées de choses profitables.
4. Car les morceaux et poèmes de samā‘ sont des rivières et des sources qui débordent en maximes de sagesse, vérités, homélies et subtilités, depuis les cœurs des chanteurs, sur les jardins des cœurs des auditeurs.
5. En vérité, ces poèmes sont un jardin resplendissant, des fleurs agréables que cueillent les mains de la compréhension, et qui par leur arôme, parfument les cœurs des gens amoureux et passionnés.
6. Celui [l’auditeur] qui entend [lors du sama‘] l’exhortation, s’y conforme, la met en pratique, rejette l’habit d’impuissance et de paresse.
7. Celui qui y entend l’excitation du désir [vers Dieu], son cœur s’adoucit, son esprit se purifie, son amour se renforce et son désir s’accroît. Il se rappelle, avec nostalgie son Bien-aimé et Le désire ardemment jusqu’à ce qu’il obtienne de Lui l’objet de son désir et [la réponse] à sa demande.
8. À ce sujet, Muḥyī ad-Dīn dit pour encourager les auditeurs :
Déclame-moi le Nom de Celui que j’aime et laisse tous les rivaux me lancer leurs flèches
S’ils attaquent mon cœur Je n’en ai cure, par la grâce de Son Nom, rien ne peut me nuire.
9. Celui qui entend [et saisit] les vérités et les sens subtils s’abreuve des coupes du nectar ; son âme s’élève vers le Compagnon Suprême et laisse le Tout, loin, derrière lui.
10. Le samā‘ le transporte vers la Présence sacrée, le fait disparaître du monde sensible [matériel], l’esprit établi dans le Jardin de Firdaws alors que son corps demeure parmi les gens. Il ne voit seulement que son Bien-aimé ; tout est, à ses yeux, dans le pli du néant. Il ne se dirige que vers son Bienaimé, comme l’a dit le poète :
Chaque amoureux s’est occupé d’une chose ; la mienne est de L’aimer.
11. Ainsi en est-il du samā‘ : Chacun en prend ce que peut contenir son cœur et ce que lui rapporte son aspiration. «Et chacun savait où il devait boire » (Coran II, 60).
12. Quant aux autres [qui ne sont pas encore parmi les « auditeurs »], ceux qui se trouvent loin de la compréhension [de cela], qui sont dénués de science, qui n’ont pas une nature saine ni un goût droit, les Gens d’Allah pourront les nourrir par le lait du goût, les éduquer par le désir ardent, les élever progressivement jusqu’à ce qu’ils soient parmi les gens de sentiments, de réalisation et de connaissance.
Cheikh Muhammad al-Madani
Burhān ad-Dākirīn, (Preuve des invocateurs).