Rapportes-tu de Laylā un récit véridique

Home Poèmes chants Madani Rapportes-tu de Laylā un récit véridique

1. Rapportes-tu de Laylā un récit véridique ? Fais m’en part ; afin que cesse ma perplexité.

2. Rafraichis mon cœur par la douceur de ses paroles ! C’est un breuvage qui vivifie les os (morts) et les ressuscite.

3. Le pacte qui me lie à Elle est le « Pacte ancien » 1. Après l’avoir conclu, je n’ai jamais délaissé la Voie de l’union.

4. Même si je sais à tous égards que, offrant mon âme en dot, mon amour ne saurait encore égaler l’amour (qu’elle mérite).

5. Son reflet, auparavant me rendait visite ; de Son éclat, des beautés apparaissaient librement.

6. Désormais, mon œil se plaint de son éloignement. (Son image) ne vient plus. Qu’a donc-t-elle à s’esquiver ?,

7. Est-elle aussi maintenant avare de son image? Un obstacle est-il apparu ! Mon faible cœur ne pourra endurer.

8. Dis-moi et qu’Allah te protège, se détourne-t-elle ? Ou est-ce un prétexte afin que ne soit rendue légitimement plus possible toute figuration d’elle !

9. Du visage de Laylā, s’éclaire la face du soleil ; en toute chose elle se développe, évoluant vers la parfaite beauté.

10. Aux horizons, Contemple (et médite sur) de belles lignes! , (car) A l’intérieur du soleil même, les regards des gens sont abusés ?

11. Elle s’est voilé seulement en ôtant son voile ; le contemplant 2, du fait de sa proximité même, ne peut voir !

12. Et par ma vie ! Considérant toute chose, je ne peux autrement dire que : « Emerveillement, ne voilà-t-il pas que le dévoilement est lui-même recouvrement ? »

Rapportes-tu de Laylā un récit véridique ?

Introduction:

Dans cette douzaine de vers, Shaykh Muhammad Al Madani fait écho à ceux d’un des autres grands maîtres de la Voie Shadhiliyya, le successeur direct de Sidi belHassan, shaykh Abu Abbas al Mursî.

En cela il s’inscrit dans la suite des Connaissants qui font état à leur sujet d’un apparent abandon par l’objet de leur contemplation amoureuse. Apparent, car il n’est évidemment pas question d’une régression spirituelle mais, tout au contraire, d’un « couronnement » dans une perspective de réalisation de type Muhammadienne, donc totale et universelle, réalisation régie par le verset :

مَا وَدَّعَكَ رَبُّكَ وَمَا قَلَىٰ – 93:3
Ton Seigneur ne t’a ni abandonné, ni détesté.
Disons-le d’emblée, le texte présenté est difficile tant au niveau du fond que de la forme.


Quant au fond, doctrinalement très dense, nous sommes au cœur même de la question : La contemplation de l’Essence Divine est-elle possible ?, si oui Qui contemple qui ? , si non quel est Son voile ?

Questions ardues s’il en est, pour lesquelles il est impossible de donner des réponses à la fois nettes et définitives, tant elles dépendent de la juste compréhension de la dualité « contemplant – contemplé » et de ses limites. En effet, selon les points de vue où l’on se place, cette dualité peut : être ou ne pas être, être transitoire ou permanente, illusoire ou réelle, et même revêtir un statut particulier : transitoire ET permanente, illusoire ET réelle.

Ce poème ouvre donc les portes des lieux infinis où se déploient les mystères de l’Essence divine, Principe des principes, Cause des causes. Il utilise pour cela – comme beaucoup avant lui- la figure de Layla, la belle jeune fille, bien connue dans la triste histoire de la passion amoureuse qu’elle suscite en Qays. Qays, qui deviendra par la suite le « fou de Layla – Majnun »- car cet amour sera, pour de multiples raisons, impossible.

Je t’aime, ô ma Laylâ, je m’acharne à t’aimer,
Toi qui, de près, de loin, ne penses qu’à me fuir !
Je t’aime, ô ma Laylâ, et le moindre soupir
De cet amour, cueilli dans le vent, respiré,
A l’âme des passants arracheraient des plaintes.

Cette histoire d’amour – définitivement rattachée au patrimoine culturel arabo-islamique – a pu aussi bien naître d’un amour profane ou courtois, mais les maîtres de l’Islam Intérieur ne se sont pas privés de l’utiliser pour imager, en des sentiments pouvant traduire cette expérience indicible, les rapports particuliers qui les lient à l’Essence Divine.

Par le biais de sa précieuse expérience, le shaykh y montre la Voie opérative pour réaliser : « après avoir été, ce que nous étions avant d’être », en donnant à tous, les précieuses indications permettant de supporter le poids de cette « connaissance » et d’en user en vue du Bien.

Afin de servir de support à la compréhension de ce poème, nous citerons comme sources traditionnelles, entre autres, Muslim, qui rapporte le hadîth : « Certes Allah ne dort pas et il ne lui sied pas de dormir. Son Voile est lumière ; s’Il le retirait, les gloires fulgurantes de Sa Face consumeraient tout ce qui serait atteint par Son Regard »

Dans un autre Hadith à la question d’un compagnon l’interrogeant « As-tu vu ton Seigneur ? » le Prophète ﷺ répondit : « Lumière, comment le verrais-je ? (نورٌ انَّى أراهُ-) » et l’émir abd al Qadir al jazairi fait remarquer dans son « livre des haltes » qu’à cette même question, le Prophète ﷺ aurait répondu à un autre de ses compagnons qu’en effet il l’avait bien vu, ce qui est admis de la tradition ésotérique commentant le verset 53-17 la vue n’a nullement dévié ni outrepassé la mesure (En référence au « Signe le plus grand parmi les signes»). Les contradictions sur la possibilité de voir ne sont donc contradictoires qu’en apparence.

Shaykh al Madani exploite dans ce poème toutes les ressources que la langue arabe – langue sacrée – offre. Ainsi utilise-t-il des mots relativement rares pour apporter des nuances que l’on est loin de pouvoir toutes interpréter et qui ne sont pas seulement dictées par l’impératif poétique.

Par exemple pour désigner la face d’une chose le mot courant est wajh, qu’il appliquera à l’Essence totalement inconditionnée, mais pour désigner la face du soleil symbolisant l’Etre en tant que principe second, il utilisera le mot tal’at طَلْعَة (Apparence, aspect, face, faciès) qui appartient au champ sémantique du soleil puisque de cette racine on désigne le lever d’un astre et en particulier le soleil طلوع الشمس , mais avec une nuance d’aspect (le faciès : face, mais vue avec un jugement, donc dans la vision d’un autre) ce qui lui permettra de respecter la hiérarchie des principes symbolisés.

Il va également jouer sur l’homonymie (même son pour des signifiés différents). Ainsi dans un des vers il opposera la racine SHH ص ح ح , qui désigne ce qui concerne la guérison, la bonne santé et par extension l’authenticité, la validité, la régularité, la véracité, à la racine ‘ L L علل qui au contraire évoque la maladie, la défectuosité mais aussi l’excuse, le prétexte, le motif. Le verbe à la VIII forme إعتَلَّ et بِ ه إعتَلَّ pourront signifier (à la particule bi près qui est omise ici) : «être malade, indisposé » ou « prendre comme prétexte », les deux acceptions donnant sens, l’un (que nous avons privilégié), plus fin que l’autre, permettant de dégager des perspectives « positives » .

Layla, objet de la Quête Suprême.

Vers : « Du visage de Laylā, s’éclaire la face du soleil ; en toute chose elle se développe, évoluant vers la parfaite beauté. »

ومــن وجه ليلى طلعة الشمس تستضي * وفي كل شــــــــــــــــــيء للجمال تطوّر

Comme chacun sait, L’Essence des essences est Layla – en arabe « la nuit »- évoquant l’obscurité, mais une obscurité non par manque de lumière mais par excès même de lumière. Obscurité Sur-lumineuse qui ne peut être vue parce qu’en définitive c’est elle qui fait voir. Obscurité au-delà de la Lumière, car Unité en laquelle toute chose demeure synthétiquement et sous un mode de perfection, exempt de toute trace d’existence (la lumière étant assimilée à l’être).

Point sans espace où se situer, antérieur à la distance qui apparaîtra lorsque -selon l’éternel désir de cette Essence UNE d’être connue- en se « dédoublant », il se placera face à Lui pour se contempler Lui-même. La vision-connaissance que cette Essence a d’Elle-même est l’archétype primordial de l’Amour sous toutes les formes susceptibles de le personnifier. Connaître Laylâ c’est l’aimer ; l’aimer, c’est la connaitre.

Même si le verbe تطور , V forme de la racine T W R évoquant l’idée de « période, phase, stade de développement », signifie « se développer, évoluer, changer, se modifier, se transformer », il est bien évident -dans l’absolu- qu’il n’est aucunement question d’évolution en tant que changement d’état pour l’Essence. Cette « évolution » ne peut être conçue que comme un retour à un état principiel qui n’a jamais été quitté, car c’est une « procession » qui s’accompagne inéluctablement d’un mouvement de retour (WA ILA ALLAH AL MASIR) à l’Un où, de façon permanente (atemporelle), résident toutes choses en l’état de repos et de BEAUTE absolue (للجمال ), au-delà de l’opposition [sortie du Principe – Retour au Principe].

En effet, il s’agit bien du « Soi » tel que l’expose le shaykh abd al wahid Yahya. Principe jamais individualisé, immuable, dont toute chose ou essence particulière n’est, selon l’image bien connue du reflet du soleil dans l’eau, qu’une modification contingente ne l’affectant en aucune façon.
Layla transcende (au-delà du lotus de la limite) l’Etre même -principe de tous les possibles « étants »- au point qu’on ne saurait dire d’Elle qu’elle est (et pourra-t-on voir ce qui n’est pas !).

Toutes choses, manifestées ou non manifestées, toute multiplicité, participent de Son Unité à partir de laquelle elles procèdent et se déploient en Elle, et dans lesquelles Elle demeure, en tant que « rien », telle qu’Elle.

La « face de Layla » correspond au HUWA transmigrant qui est évoquée par exemple dans les awrâd d’Ibn Arabî : « Dans la manifestation et dans l’occultation, dans l’infiltration universelle du secret gardé, il y a une Ipséité qui se propage et en même temps des théâtres éclatants : Etre et Non Etre, Lumière et Ténèbres, Ouïe et surdité, Table et Calame, Ignorance et Science, Guerre et Paix, Mutisme et Parole, Soudure et Rupture, Vérité essentielle et Vérité totale,
occultation insondable du Sans-commencement et perpétuité du Sans-fin.»

في الظُّهورِ وَ البُطونِ وَ سَرَيانِ السِّرِ المَصونِ هُوِيَّةٌ سارِيَّةٌ وَ مَظاهِرٌ بادِيَّةٌ ، وُجودٌ وَ عَدَمٌ، نورٌ وَ ظُلَمٌ، سَمْعٌ وَ صَمْمٌ، لَوْحٌ وَ قَلَمٌ، جَهْلٌ وَ عِلْمٌ، حَرْبٌ وَ سِلْمٌ، صَمْتٌ وَ نُطْقٌ، رَتْقٌ وَ فَتْقٌ، حَقيقَة حَقٌّ، غَيْبوبِيَّةُ أَزَلٍ دَيْمومِيَّةُ أَبَدٍ

Voir le reflet de Layla !

Vers : « Son reflet auparavant me rendait visite ; de Son éclat, des beautés apparaissaient librement. »

Le shaykh utilise ici la racine arabe طاف pour signifier l’apparition d’une chose en rêve. Le substantif طيف ج أطياف désigne : « Apparition, fantôme, ombre, spectre, vision ». Il s’agit bien d’une « tierce -chose», qui s’interpose entre la réalité de la chose et son témoin.

Il s’agit de visions théophaniques dans lesquelles Allah, qui est comme on le sait sans forme ni modalité, se révèle à Son serviteur et s’offre à l’œil du cœur sous une forme, une modalité et une individuation déterminées, ainsi que l’a dit le Prophète ﷺ. « J‘ai vu mon Dieu sous la plus belle des formes ».

Ce genre de dévoilement survient dans les phases initiales du processus de réalisation opératif. Mais pour le parfaire, l’être doit passer par l’épreuve du « Rien » – symbolisé par le dédain de la bien-aimée et l’expérience d’être abandonné – afin qu’en lui se certifie le « LA ILAHA » seul. C’est dans cette phase – où, sans un maître avisé il est facile de se perdre dans le désespoir, le nihilisme et la démence – que va naître cette « inquiétude spirituelle », nécessaire à la suite du cheminement. Cet état de perplexité inquiète trouve son paroxysme dans le désir de totale disparition.

Tel le fou amoureux éconduit, le salik ne trouve plus d’issue, il questionne et s’agite.

Vers : « Est-elle aussi maintenant avare de son image? Un obstacle est-il apparu ! Mon faible cœur ne pourra endurer. Dis-moi et qu’Allah te protège, se détourne-t-elle ? »

Un autre soufi célèbre décrit cette perte de repère dans une munaja :

الهي اذا كان الوصل عين القطع و القرب نفس البعد و العلم موضع الجهل و المعرفة مستقر التنكير فكيف القصد و من أين السبيل

« Mon Dieu, si l’union est même chose que « séparation », si la proximité coïncide avec « l’éloignement » , si la science est le siège de l’ignorance et la connaissance la confirmation de « l’inconnaissable » comment concevoir le but et quel est le chemin ? »

L’être parvenu à ce stade n’espère plus qu’en une totale disparition, qui seule pourrait le sauver ou arrêterait ses tourments.

فَأَجَاءَهَا الْمَخَاضُ إِلَىٰ جِذْعِ النَّخْلَةِ قَالَتْ يَا لَيْتَنِي مِتُّ قَبْلَ هَٰذَا وَكُنتُ نَسْيًا مَّنسِيًّا – 19:23

« Puis les douleurs de l’enfantement l’amenèrent au tronc du palmier, et elle dit: «Malheur à moi! Que je fusse morte avant cet instant! Et que je fusse totalement oubliée!»

Le « moi » bien compris se trouve replacé à la place contingente qui lui revient. Si le « moi » était totalement le « Soi », aucune mort ! Et pourtant :

كُلُّ نَفْسٍ ذَائِقَةُ الْمَوْتِ ۖ ثُمَّ إِلَيْنَا تُرْجَعُونَ – 29:57

« Toute âme goutera la mort, puis vous serez retournés à nous »
Concevoir l’accès au Divin sans la disparition de l’humain avec toutes les conséquences que cela implique, ou, ce qui revient au même, concevoir la Réalisation comme la propriété ou l’extension de l’individu, ne sont que des présomptions parmi d’autres et sont indignes de qui s’engage dans la Voie de Dieu, c’est pourquoi le rappel de la mort et la « pauvreté » qui en résulte, sont si précieux pour la juste progression de l’aspirant à travers les aspects pratiques qu’il doit donner à sa vie et à sa relation avec autrui.,


قُلْ إِنَّ الْمَوْتَ الَّذِي تَفِرُّونَ مِنْهُ فَإِنَّهُ مُلَاقِيكُمْ ۖ ثُمَّ تُرَدُّونَ إِلَىٰ عَالِمِ الْغَيْبِ وَالشَّهَادَةِ فَيُنَبِّئُكُم بِمَا كُنتُمْ تَعْمَلُونَ
– 62:8

Dis: «La mort que vous fuyez va certes vous rencontrer. Ensuite vous serez ramenés à Celui qui connaît parfaitement le monde Invisible et le monde visible et qui vous informera alors de ce que vous faisiez».

وَذَكِّرْ فَإِنَّ الذِّكْرَىٰ تَنفَعُ الْمُؤْمِنِينَ – 51:55

Pourtant cet état est ce par quoi lui sera ouverte la porte de la contemplation totale de Dieu par Dieu en lui. Il comprend enfin que c’est Elle (l’Essence) qui l’aide à être vue, en ne plus se montrant.

Voir Layla !

Vers : « Ou est-ce un prétexte afin que légitimement ne soit rendue plus possible aucune figuration d’elle ! »

Toute représentation du Vrai doit disparaître car inadéquate, mais il ne s’agît pas de la disparition de la représentation à l’intérieur du sujet, mais bien de la disparition du sujet en qui peut se faire une telle représentation. Autrement dit, il ne s’agit pas de ne rien projeter sur un écran mais de supprimer l’écran !
Car en réalité, ainsi qu’il est transmis depuis longtemps, il n’y a pas de connaissance ni de vision de Dieu par un autre que Dieu, car un autre que Dieu n’est pas. Le terme vers lequel s‘achemine l’être en quête de Dieu est la donc la reconnaissance que les actes, les attributs et l‘ipséité ou essence des choses sont les Siens en propre. Dans son extinction (fana’) il a ainsi répondu au verset du Livre : « Dieu vous commande de rendre le dépôt confié à qui il appartient (4 :61). ».

En ce pèlerin mort à lui-même, en lequel Dieu est lui-même l’œil par lequel il regarde, se certifie « ILLA ALLAH ». Aussi paradoxal que cela paraisse, la vision de l’Essence ne peut être réalisée que lorsqu’il n’y a plus de sujet pour La voir. C’est pourquoi personne parmi les êtres réalisés ne peut prétendre-en tant qu’individu- l’avoir vue. Et Shaykh al Madanî d’affirmer:

« A l’intérieur du soleil même, Les regards des gens sont abusés » ou « le contemplant, du fait de sa proximité même, ne peut voir »
Images pour dire qu’en effet il n’y a plus : un contemplant et un contemplé ; mais un ensemble indissociable [contemplant-contemplé] qui ne fait plus qu’un et qui entraîne de fait la disparition des deux préalables.

Il n’en demeure pas moins que ces êtres qui sont le support ou le réceptacle en lequel la vision éternelle de Dieu par Dieu s’est réalisée (le passé est lié au point de vue de la créature toujours soumise au temps, en fait il s’agit d’un présent (se réalise) dans un ailleurs), vont garder la « trace » de cet « évènement » atemporel qui pourra se lire dans leur individualité en quelque sorte transfigurée.

Savoir que l’on ne connaît pas est une connaissance
L’être dont le ajal terrestre ou « terme de vie assigné » est différé, revenant de cet état et en en sentant encore le parfum, retourne à son individualité et doit continuer plus que jamais de prendre le Prophète ﷺ pour guide, c’est-à-dire connaître de connaissance certaine que pour tout être distinct c’est l’Essence Elle-même qui est son propre voile, rien ne la voile sinon Elle, et qu’à ce titre il lui faut aussi la contempler au travers et par le voile.

Vers : « Elle s’est voilé seulement en ôtant son voile »

Ainsi un autre Soufi a-t-il pu écrire : « La perfection de l’être contingent c’est par sa propre inconnaissance devenir connaissant. C‘est savoir d’expérience certaine que le summum de la connaissance est l’inconnaissance,… ».
Shaykh al Madani dira lui aussi dans ce beau vers solennel :
« Et par ma vie ! Considérant toute chose, je ne peux autrement dire que : « Emerveillement, ne voilà-t-il pas que le dévoilement est lui-même recouvrement ? »

Cette prise de conscience étant le sommet de la connaissance est donc tout le contraire d’une régression même si elle en prend l’apparence. De fait, il y a régression spirituelle effective, lorsqu’au contraire, l’être s’est persuadé qu’il est dans le droit chemin et que cette disposition lui vient, non d’Allah, mais de la science qu’il pense avoir en propre et dont il est satisfait fièrement.

قَالَ إِنَّمَا أُوتِيتُهُ عَلَىٰ عِلْمٍ عِندِي ۚ أَوَلَمْ يَعْلَمْ أَنَّ اللَّهَ قَدْ أَهْلَكَ مِن قَبْلِهِ مِنَ الْقُرُونِ مَنْ هُوَ أَشَدُّ مِنْهُ قُوَّةً وَأَكْثَرُ جَمْعًا ۚ وَلَا يُسْأَلُ عَن ذُنُوبِهِمُ الْمُجْرِمُونَ
– 28:78

« Il dit: «C’est par une science que je possède que ceci m’est venu». Ne sait-il pas qu’avant lui Allah avait fait périr des générations supérieures à lui en force et plus riches en biens? Et les criminels ne seront pas interrogés sur leurs péchés »

C’est là on le voit bien tout le contraire des « pauvres en Dieu » que sont nos maîtres, qui ont souffert de la désunion au point d’exprimer sans pudeur les affres de l’éloignement.

Les horizons, vivre la pauvreté sur les pas du Prophète ﷺet l’attente de la « Rencontre ».

تأمّلْ سطـــــــــــــــوراً في الآفاقِ جميلةً

Vers : « Contemple de belles lignes, aux horizons! »

Voilà le conseil de qui est revenu, en référence au verset Coranique dans lequel Allah indique qu’Il montrera Ses preuves :

سَنُرِيهِمْ آيَاتِنَا فِي الْآفَاقِ وَفِي أَنفُسِهِمْ حَتَّىٰ يَتَبَيَّنَ لَهُمْ أَنَّهُ الْحَقُّ ۗ أَوَلَمْ يَكْفِ بِرَبِّكَ أَنَّهُ عَلَىٰ كُلِّ شَيْءٍ شَهِيدٌ
– 41:53

Nous leur montrerons Nos signes aux horizons et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est cela (le Coran), la vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute chose?

Que l’on peut lire : « Nous leur montrerons Nos signes aux horizons et en eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il leur devienne évident que c’est HUWA (inna hu) le Vrai Réel. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute chose? »

Et c’est comme si Shaykh al Madani nous disait, et c’est aussi l’exemple vécu que nous donnent ceux qui le suivent avec respect et affection :

« Baisse avec adab tes yeux à l’horizontale ! Reviens au monde, transformé par la Vision. Admire le Voile, car le voile : c’est encore Elle ! Sa beauté s’y lit ! et c’est le don total qu’Elle te fait, à toi créature. Layla s’est vue en moi et en retour m’a fait le don de la deviner sous toutes les formes qu’Elle prend pour se voiler. Oui ! Elle est au-delà de tout, et se cache à ta vue car Elle est l’Origine et la Fin de tout, mais Elle est aussi le Milieu et dans « l’ici et maintenant » du plomb de l’ordinaire, tu verras l’Or pur de Sa Face. Vis donc la vie qui t’est impartie, d’un cœur pur et simple comme ton Prophète ﷺ te l’a montré par son exemple. Ne cesse pas de soupirer après celle que tu aimes et que tu vois sans voir. Exalte Sa beauté « comme si tu La voyais ». Abandonne le tafakhur تَفَاخُرٌ, toute forme de gloriole et de prétentions, car qui s’adonne à ces souillures ne peut plus La voir, voilée ou non voilée. Ce sont eux qui La recouvrent de leur négativité (kufr) et La voilent à leurs yeux, et non plus Elle, qui se voile à eux, dans le voile de Son dévoilement qui La leur révèle. Ne cherche pas à t’émerveiller par autre chose que la foi en Lui qu’Il t’a donnée, elle est – avec ta création et celle du monde – le plus grand des miracles :

اعْلَمُوا أَنَّمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا لَعِبٌ وَلَهْوٌ وَزِينَةٌ وَتَفَاخُرٌ بَيْنَكُمْ وَتَكَاثُرٌ فِي الْأَمْوَالِ وَالْأَوْلَادِ ۖ كَمَثَلِ غَيْثٍ أَعْجَبَ الْكُفَّارَ نَبَاتُهُ ثُمَّ يَهِيجُ فَتَرَاهُ مُصْفَرًّا ثُمَّ يَكُونُ حُطَامًا ۖ وَفِي الْآخِرَةِ عَذَابٌ شَدِيدٌ وَمَغْفِرَةٌ مِّنَ اللَّهِ وَرِضْوَانٌ ۚ وَمَا الْحَيَاةُ الدُّنْيَا إِلَّا مَتَاعُ الْغُرُورِ
– 57:20

« Sachez que la vie présente n’est que jeu, amusement, vaine parure, une course à l’orgueil entre vous et une rivalité dans l’acquisition des richesses et des enfants. Elle est en cela pareille à une pluie: la végétation qui en vient émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie; ensuite elle devient des débris. Et dans l’au-delà, il y a un dur châtiment, et aussi pardon et agrément d’Allah. Et la vie présente n’est que jouissance trompeuse. »

Et sache que le Bien Aimé ﷺ, qui t’accompagnera à Elle, t’a honoré par le désir qu’il a de toi :

عن انس ابن مالك قال النبي ﷺ »وددت انِّي لقيتٌ اخواني الذين آمنوا بي و لم يروْني » رواه الامام أحمد

D’après Anas ibn Malik, le Prophète a dit : « Comme j’aimerais rencontrer mes frères, ceux qui ont cru en moi et qui ne m’ont pourtant pas vu ».

فَشاهِدْ تُشاهِدُ كلُّ شَيْءٍ جَمالَهُ
وَ ما ثَمَّ إلّا وَجْهَ اللهِ في الآياتِ

Et il n’y a dans les Signes que la Face d’Allah. »
Allah bénisse nos maîtres, lieutenants de l’Envoyé ﷺ, étoiles polaires de notre nuit. Amin

Ainsi, le cheminement des aspirants pour lesquels Dieu, dans Sa Sagesse, a différé la félicité, trouve-t-il le modèle à suivre dans la trajectoire spirituelle des grands saints.

لَهُمُ الْبُشْرَىٰ فِي الْحَيَاةِ الدُّنْيَا وَفِي الْآخِرَةِ ۚ لَا تَبْدِيلَ لِكَلِمَاتِ اللَّهِ ۚ ذَٰلِكَ هُوَ الْفَوْزُ الْعَظِيمُ – 10:64
Il y a pour eux une bonne nouvelle dans la vie d’ici-bas tout comme dans la vie ultime. – Il n’y aura pas de changement aux paroles d’Allah -. Voilà l’énorme succès!

Au début de leur engagement, leur enthousiasme et l’ivresse des dons qui affluent sur eux et les émerveillent, sont le résultat des fugaces apparitions que Layla leur donne de voir d’Elle. Mais dans « l’ordinaire » de la vie et, pris en otage du temps qui passe, les pèlerins vivent le déchirement de celui qui est follement amoureux de Layla et à qui elle ne se montre plus. Ils doivent alors s’accrocher fermement à la Loi, à leur religion et faire de la fidélité à leur pacte et à qui le représente, le fil conducteur de cette pénible traversée. Ainsi les lumières ne tarderont pas à reparaître et ce seront les lumières d’une foi pure et solide qui leur permettront d’attendre en confiance l’instant que Dieu a choisi pour les rencontrer. Leur mort corporelle sera pour eux, ce qu’a été la mort initiatique de ceux qui sont « morts avant de mourir » et ils verront leur Seigneur comme on voit la pleine lune en un ciel pur Amin.

وَلَوْ يُعَجِّلُ اللَّهُ لِلنَّاسِ الشَّرَّ اسْتِعْجَالَهُم بِالْخَيْرِ لَقُضِيَ إِلَيْهِمْ أَجَلُهُمْ ۖ فَنَذَرُ الَّذِينَ لَا يَرْجُونَ لِقَاءَنَا فِي طُغْيَانِهِمْ يَعْمَهُونَ
– 10:11

Et si Allah hâtait le malheur des gens avec autant de hâte qu’ils cherchent le bonheur, le terme de leur vie aurait été décrété. Mais Nous laissons ceux qui n’espèrent pas Notre rencontre confus et hésitants dans leur transgression.

و الله اعام عليه توكلت و هو رب العرش العظيم، و السلام

Commentaire sidi Abd al-Malik
Qu’Allah l’assiste.
12 février 2018

Allons-y mes frères

Un ancien poème du Cheikh Mohammed al-Madani, écrit en dialecte tunisien. Il y incite les frères à...

Est-ce le désir ardent qui m’amena ?

Cheikh Muhammad al-Madani composa ce poème vers 1920 lors d’une visite rendue à son maître Cheikh...

Ô frères ! Voici l’assemblée d’Allah !

Voici une Quasida dans laquelle shaykh Madani évoque le moment où il a reçu la mission de...